Manuel Hernandez Valdez

Une sagesse espiègle

Parmi les personnalités extraordinaires qui travaillent à la Galerie-Atelier de « Lolo » de Matanzas, il existe une figure incontournable. Casquette du Che vissé sur la tête, cigarette aux lèvres et sourire immuable, Manuel Hernandez Valdez est toujours là. Installé sur un modeste tabouret, cet ancien journaliste caricaturiste est littéralement tombé dans la potion magique de la création. « Manuel, il peut dessiner tout ce qu’il veut les yeux fermés, chaque coup de pinceau est précis et incroyablement beau » m’avoue Dariel Lozano, l’un des jeunes prodiges de l’atelier.

Manuel, c’est comme un chef de tribu, un sage, un ancien à qui l’on dit tout. Né en 1943, il a grandi à Limonar, un petit village à quelques kilomètres de Matanzas. Sa famille travaille la terre, et vit de la canne à sucre. Après ses études, il remplit ses obligations militaires avec intérêt et y voit une opportunité d’y développer ses deux passions : le journalisme et la politique. Il rejoint donc le département des communications et sourit de ces moments passés à mettre en garde ses compatriotes face à « El Diablo », les États-Unis d’Amérique.

Trois ans plus tard, il quitte l’armée et travaille à temps plein comme journaliste-caricaturiste et illustrateur pendant plus d’une dizaine d’années. À cette époque, il connaît tous les rouages de la politique castriste et côtoie les hautes sphères de la société cubaine. Toujours avec humilité. Reconnu par ses pairs comme l’un des meilleurs de sa génération, il avoue être un spécialiste de la communication, sans omettre de signaler les dangers et les bienfaits de celle-ci.

Globe-trotteur, il a l’occasion de se rendre à l’étranger afin d’évoquer son art et échanger avec d’autres grands noms de la caricature. Installé à La Havane, il se remémore les innombrables allers-retours qu’il effectue jusqu’à Matansaz. C’est pour lui l’occasion de rencontrer de nombreux artistes et de bâtir de multiples  amitiés. L’amour de la céramique est né malgré lui : «La céramique, c’était comme une renaissance. Après la révolution, il n’y avait plus de travail pour moi, je devais trouver autre chose, je suis donc tombé en amour avec la céramique, comme disent nos amis québécois de Mano A Mano*».

Un pinceau en poils de chat en guise de baguette magique

Assis à ses côtés, je ne me lasse jamais de le voir travailler. Concentré, les yeux rivés sur la pièce qu’il élabore, il fait virevolter son pinceau avec une effervescente délicatesse. Tout autour de lui, les jeunes artistes, mais aussi les plus expérimentés, n’hésitent pas à le taquiner et à faire la promotion de ces fameux pinceaux que lui seul affectionne. Des pinceaux confectionnés grâce aux poils perdus par son chat. C’est d’ailleurs Lolo, son complice de toujours, qui me souligne qu’« il n’échangerait en aucun cas ses pinceaux artisanaux contre ceux disponibles en boutiques et ce peu importe la qualité et le prix ».  

La main de Manuel et son pinceau en poils de chat sont connus de tous à Matanzas.

Photo Arnaud Barbet

Manuel n’a jamais quitté le monde du journalisme et de la politique. Graphiste, caricaturiste et député, il est finalement devenu peintre et céramiste. Impatient, il me décrit la première œuvre qu’il a peinte. Une assiette, illustrant une scène d’Adam et Ève re-visitée, où le paradis parait peu attrayant, puisqu’une seule femme se présente aux yeux d’Adam ! Manuel n’en finit pas de s’amuser en se remémorant ses premiers pas de céramiste pour finalement en définir les contours : « La céramique, c’est un mystère, une complicité entre l’artiste et ses origines, au travers des minéraux qu’il travaille ». Pour lui, la peinture lui semble plus poétique, moins rapide à vivre… la céramique, c’est différent, on doit jouer avec la matière, mais cela doit être rapide et précis.

Ses épaules fluettes, ses gestes méticuleux, la douceur de son trait embrassent une vision heureuse et poétique du peuple cubain sur chaque pièce qu’il dessine. « Nous sommes un peuple attaché à la terre, un peuple solidaire et respectueux », affirme-t-il. L’homme, aujourd’hui député du parlement cubain, amène une vision humaniste et critique de notre société actuelle, et croit en l’amour sans condition, au partage, et à l’éducation des plus jeunes.

Reconnu par ses pairs à Cuba, mais aussi à l’étranger, en tant que caricaturiste, il avoue néanmoins la rudesse de ce métier et le stress qui l’a entouré tout au long de ces années. Aujourd’hui, il excelle dans l’art de la céramique, et celle-ci lui semble beaucoup plus reposante pour l’esprit. Quel que soit son art, Manuel ne quitte jamais la politique et ses sentiments sur la vie à Cuba. Des sentiments qu’ils expriment sans complaisance, des sentiments qui naissent à Matanzas, mais qui sont d’abord universels.

Si Manuel est un bourreau de travail, et que vous preniez place un jour à ses côtés, soyez prêt à essuyer, sans prévenir, une salve de blagues espiègles et ininterrompues. Son sourire d’enfant vous fait chavirer de sympathie et son talent vous accapare pour la vie.