Dariel Lozano Pérez

Lorsque j’aperçois Dariel pour la première fois, il est accompagné de Geronimo, son papa, et Gladys la "abuela[1]". Un tableau de famille essentiel à son équilibre. C’était en 2014, il n’avait que 25 ans à l’époque et déjà la rumeur lui prédisait un bel avenir. Touche-à-tout, dévoué, talentueux et bouillonnant, son art est aujourd’hui un incontournable. Sur les traces de son mentor "Dali", dans les pas bienveillants de "Lolo", il cumule les reconnaissances de ses pairs, à Cuba, mais aussi à l’étranger.   

Portrait de famille : de gauche à droite, Piggybank, Geronimo, Dariel et Gladys. (Photo Arnaud Barbet)

Ce matin-là, le soleil semble lécher les murs de l’atelier avec une intensité remarquable. Chaque mètre carré d’ombre est utilisé à la création. Mon regard s’évade, comme à chaque fois, à l’affut de cette anarchie méthodique et artistique. À quelques dizaines de mètres, Dariel m’interpelle. Il semble sortir d’un film d’horreur. Les mains sanguinolentes, il sourit de satisfaction sous les yeux de Gladys et Géronimo, admiratifs.

«C’est la touche finale !» Devant nous, un cochon, haut de quatre mètres, d’acier et de fibre de verre, joue les équilibristes sur un ballon dégonflé d’un rouge écarlate déposé. « Piggy Bank», en anglais s’il vous plait ! Cette tirelire enfantine aux formes faméliques et aux interminables pattes évoque, sans aucun doute possible, la magnificence de Dali, son maître à penser.

« J’aime le cochon », dit-il en riant, pour finalement m’expliquer avec beaucoup plus de gravité  sa symbolique sur l’île. « Le cochon, il représente notre apport principal en protéines, les touristes ont le choix, nous beaucoup moins, alors on en prend soin ! Quand j’étais jeune, nous en avions dans la cour de la maison, je les élevais pour arrondir les fins de mois et offrir à notre famille une meilleure vie. Aujourd’hui, c’est une grande source d’inspiration ».

Cette sculpture monumentale évoque sans détour l’économie mondiale qui tangue sous le poids de la crise financière, qui bouscule le monde capitaliste, m’explique-t-il avec l’esprit critique qui le caractérise. Le cochon, qu’il soit dodu ou maigrelet, d’acier ou de bronze, sur une toile ou un vase en céramique, est aujourd’hui omniprésent dans son univers créatif.  Dariel n’oubliera jamais d’où il vient, tout en me signalant avec humour qu’il est capable de travailler sur bien d’autres sujets!

De la physiothérapie à la création artistique

Dariel, comme Dali, perdit sa mère trop tôt à la suite d’un cancer. Un épisode douloureux qu’il évoque avec beaucoup d’amour : « Elle était avenante et compréhensive. Elle croyait en moi, voulait me voir diplômé. Cependant, elle m’a toujours accompagné lorsque je mettais mes mains dans l’argile, dit-il en souriant ». Diplômé en physiothérapie, il pratique une année à l’hôpital pour enfants de Matanzas, avant de finalement épouser sa passion à plein temps.

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“Sabor Cubano“ Musée National de la céramique.

(Photo Arnaud Barbet)

Depuis Dariel cumule les prix, les honneurs. Reconnu par ses pairs, il est très fier de rendre visite à l’une de ses premières pièces, "Sabor Cubano", aujourd’hui au Musée National de la Céramique à La Havane, un enchevêtrement de boites de Corn Beef et de têtes de cochons, dans une brouette. Un pied de nez à la nourriture transformée et tristement traitée chimiquement. Son œuvre, c’est une volonté de souligner l’aspect biologique et naturel de la viande de porc élevé à Cuba. Dariel, comme de nombreux artistes cubains, insiste sur l’aspect originel des aliments et la nécessité de prendre soin de notre planète. Une tâche difficile ici faute d’infrastructures efficaces.

Quelle que soit l’œuvre qu’il exécute, Dariel y dépose une histoire, un message, une pensée. En aucun cas il n’oublie d’où il vient et où il va. «La vie d’artiste est périlleuse. Je vis chichement de ma passion, mais avec cette amitié inconditionnelle autour de moi, la présence de ma famille, des autres artistes et des visiteurs qui souvent deviennent des amis. Je suis aujourd’hui pleinement heureux. Finalement, lorsque j’en ai besoin, je m’enferme dans ma bulle afin d’exorciser mes peines et revenir à l’essentiel. L’art est un médium efficace et en plus il permet d’envoyer des messages au monde qui nous entoure, cela n’a pas de prix», déclare-t-il avec enthousiasme.

[1] Abuela signifie en espagnol la grand-mère.