Galería-Taller  "Lolo"

Alors que des milliers de Canadiens foulent les plages paradisiaques de Varadero, très peu font escale à Matanzas. L’ancienne "Athènes cubaine". Son passé tumultueux mêle mémoires de pirates du 15e siècle et reliques d’une industrie sucrière exubérante du 19e et ses richesses littéraires, musicales, spirituelles et architecturales de l’époque. Aujourd’hui, Matanzas cache un autre joyau artistique d’une humanité extraordinaire : La Galerie-Atelier de "Lolo"

 

Il fait déjà très chaud ce matin lorsque j’aperçois, au bord du Rio San Juan, non loin de la Plaza de la Vigia, les grilles de fer forgé, véritable rempart de cette bâtisse aux mille et une surprises. El taller de Lolo, du nom d’un des artistes principaux du lieu, est installé dans un bâtiment délabré du 19e siècle. Un édifice reflétant l'image du patrimoine et de l'héritage traditionnel de cet ancien port industriel.

Formé d’une maison monumentale appartenant auparavant à Tarascó, le fondateur de la première Académie des Beaux-Arts de la province, et d’un entrepôt aux limites abyssales; l’atelier de Lolo, Osmany "Lolo" Bétancourt, est devenu un lieu propice à la création, la rencontre et l’échange artistique.

Passé l’imposante armure métallique, mes yeux s’étirent du sol au plafond. Des œuvres de toutes tailles s’offrent à moi. Monumentales pour certaines, à taille humaine pour d’autres, je n’ose les fixer du regard de peur de briser celles qui me semblent les plus fragiles.

Des couleurs par myriades embrassent des dégradés de sépia. Des bronzes, de l’argile, du verre cassé, de la fibre de verre, de l’huile, des tonnes de matières à recycler, et des odeurs uniques sèment la cacophonie des sens. Une m’est particulièrement familière, celle d’un café fraîchement servit dans sa petite tasse en céramique atypique. Un rituel essentiel, simple et amical, délicieusement imposé par les maîtres des lieux pour chaque visiteur.

Un sage parmi les autres

 Manuel est matinal, il est d’ailleurs toujours le premier sur les lieux à profiter du calme et du soleil levant, l’apanage du sage peut-être…

Je m’assieds à ses côtés sur une chaise vigoureusement frêle. Je sirote tel un prince dans son nouveau palais, un palais qui me rappelle celui du facteur Cheval, les fioritures en moins. Manuel s’installe, un pinceau à la main, prêt à habiller une assiette en céramique d’un personnage dont il a seul le secret. Artiste reconnu, il n’en est pas à sa première carrière. Caricaturiste et illustrateur dans la majeure partie des publications du pays, il a parcouru l’histoire de la société cubaine et de la révolution avec un humour subtil, notamment dans les pages de La Granma, l’étendard de la presse nationale cubaine.

Il a finalement troqué la mine pour le pinceau afin d’y déposer cette touche si particulière. «Mes dessins sont aujourd’hui uniques et immuables, un journal est tiré à des milliers d’exemplaires, mais il peut disparaître sans laisser de trace… La céramique, elle, est toujours là», sourit-il.

Happé par ses paroles, nous sommes interrompus par Lolo, son ami de toujours, son frère d’armes. Nous sommes dans un de ces bons jours. Il arbore un sourire malicieux, celui d’un gamin prêt à faire une farce.   « Si tu veux que je te raconte "El Taller", c’est le moment !», dit-il d’une voix rauque, d’outre-tombe, avant de partir à rire. Manuel continue tranquillement de coiffer son personnage, en me donnant rendez-vous plus tard d’une moue amicale.

Le maître des lieux

Sorti de cette douce mélodie jouée par Manuel, me voilà face à une tête en terre glaise au large sourire qui m’est familière.

«C’est Julio*, tu le reconnais ? Profites-en, car dans quelques minutes je commence mon exutoire», m’affirme Lolo, euphorique… Encore que. D’un coup, sa main droite empoigne un marteau, la gauche un serre-joint, la mutilation commence. Julio, son ami peintre, semble passer un mauvais moment.

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Julio parlemente avec Lolo afin de sauver son image !   

Photo Arnaud Barbet

Alors qu’il martyrise ce visage poupon, il n’hésite pas à m’expliquer son parcours en cadence. Lui aussi, comme Manuel, a débuté la céramique à La Havane. Tous deux ont depuis récolté un grand nombre de prix. À Cuba, comme à l’étranger, la reconnaissance de leur travail ne fait plus le moindre doute. Manuel et Lolo se sont rencontrés dans un atelier de Varadero, mais ce dernier nécessitait plus d’espace. La céramique était devenue pour lui un terrain de jeu illimité auquel il mêle fibre de verre, bronze et acier.

«J’avais besoin de faire des œuvres monumentales, alors je suis rentré à Matanzas. J’ai demandé un atelier au ministère de la Culture. Reconnaissant de mes qualités, ils m’ont laissé ce lieu en délabrement. Manuel m’a rejoint ». L’atelier deviendra au fil des années un lieu de connaissances et d’échanges. «J’ai ouvert la porte, nous nous aidons mutuellement avec cet amour pour l’art et cette créativité essentielle à la transmission du savoir artistique. Une façon d’explorer nos sentiments sur la vie».

À bien y regarder, il faut se rendre à l’évidence, des pieds carrés de plafond manquent à l’appel, des poutres quémandent de l’attention, les murs semblent frémir d’une rudesse chancelante, mais ce royaume a aussi ses rois mages. Des silhouettes de résine et d’acier, guindées, élégantes et parfois angoissantes affleurent le ciel de cumulus. Elles semblent veiller sur nous avec discernement.

Lolo sourit devant mes yeux ébahis, «Rassure-toi, je n’oblige pas les gens à aimer mes œuvres» assure-t-il avec humour. Il les voit laides, reflétant les difficultés de la vie. De la laideur d’une nymphe à la noirceur d’un sage, chaque œuvre dégage force et respect. Un contraste explosif avec les céramiques colorées, lumineuses et rurales de Manuel, son ainé.

Statues monumentales de Lolo

Photo Arnaud Barbet

Dans l’atelier de Lolo, les années passent et les œuvres se multiplient sans crier gare. Il est aujourd’hui une extraordinaire fourmilière de jeunes artistes envahis par le même amour de l’art et une amitié inconditionnelle pour l’Humanité. Chacun évolue dans une bulle d’insouciance et de gravité, de joie et de petits bonheurs, d’espoir et d’empathie, sous les yeux paternalistes et émus de Lolo qui voit son rêve se réaliser enfin.

*Julio, ou Julito, fait aussi partie de ces artistes qui travaillent dans l’atelier.