Un saut dans le passé pour mieux appréhender le futur

Un site de l’UNESCO à deux pas de chez moi, et je n’étais pas au courant. Il faut dire que l’Alberta à tellement à offrir dans les montagnes que l’on en oublie le Sud, ses plaines et ses contreforts. Le précipice à bisons Head-Smashed-In et son centre d’interprétation-musée sont des incontournables de la culture des Premières nations et de leur mode de vie.

Après deux petites heures de route, sur la 2 vers Lethbridge, j’aperçois au loin, à l’ouest, une proéminence géologique. Cette colline biseautée, jaunie par le soleil d’été et tannée par les vents, cache un trésor. La route serpente sur une pente douce, je débute l’ascension, curieux de voir ce qui se cache derrière ce promontoire. Au milieu de celle-ci, une cavalcade immobile de bisons m’arrête. Je suis arrivé au précipice à bisons Head-Smashed-In et son centre d’interprétation. 

La cavalcade immobile de bisons, porte du sanctuaire. Photo Arnaud Barbet

La cavalcade immobile de bisons, porte du sanctuaire. Photo Arnaud Barbet

L’édifice s’agrippe sur les flancs d’une falaise monumentale qui s’étend à perte de vue. Presque invisible de la route, son architecture se dévoile avec discrétion sur la terre du peuple pied-noir. Passé l’entrée du site, les visiteurs d’un jour, curieux et excités de fouler le sol des Premières nations Pieds-Noirs et de pouvoir, peut-être, participer à leur première chasse aux bisons fourmillent. 

À pas de velours, je me dirige dans les dédales du musée, jusqu’à la salle de cinéma. Je m’y installe, attendant la projection avec une curiosité grandissante. Les yeux rivés sur l’écran, je me retrouve projeté en quelques secondes à quelques kilomètres d’ici, dans les monts Porcupine. Je m’imagine vêtu d’une peau de loup, à l’affût du moindre déplacement de ces musculeux mammifères. 

La chasse a commencé, l’animal vénéré est bousculé, chahuté, acculé. Le temps passe, il n’y a aucune minute à perdre. Leur fuite est calculée et c’est sous la cadence infernale d’une fatale cavalcade qu’elle se terminera. En effet, dirigés pendant de longues journées de manière méthodique et ingénieuse, les bisons des plaines finissent leur route, le crâne brisé, dans le précipice estipah-skikikini-kots

Un héritage en suspens

La lumière s’allume, je quitte le fauteuil cossu de la salle de projection et me retrouve quelques minutes plus tard et une ascension rapide au bord de la falaise. Admiratif à la vue infinie sur les plaines, un frisson me traverse lorsque je regarde dans le vide et imagine la chute cruelle des bisons. Salvatrice pour le peuple Pieds-Noirs. 

Au loin la falaise, en premier plan la reproduction d'un tipi traditionnel. Photo Arnaud Barbet

Au loin la falaise, en premier plan la reproduction d'un tipi traditionnel. Photo Arnaud Barbet

En effet, les bisons ainsi tués sont dépecés sur place. Chaque gramme de peau, de chair ou d’os est utilisé. La viande pour se nourrir, les os pour confectionner des ustensiles et des outils, et les peaux pour fabriquer des vêtements, des sacs, et finalement couvrir les tipis. « Le bison (appelé in-niw en pied-noir) est pour nous un animal sacré. Il nous a été envoyé par le soleil, nous le vénérons et l’utilisons au quotidien », m’explique avec cette sagesse particulière que seules les Premières nations connaissent, l’une des guides présentes sur le site. 

Sa mère est pied-noir et ses aïeux aussi. Elle se remémore des souvenirs de jeune fille alors que nous nous dirigeons vers les salles d’exposition. « Ma mère m’a toujours préparé le pemmican, enfants nous le mangions et nous l’emportions dans un sac en plastique attaché à la ceinture. Avant, la poche était en cuir finement travaillée, admet-elle avec un peu de mélancolie ». 

Cette nourriture hyper protéinée est faite à base de viande séchée réduite en poudre et mélangée à la graisse de l’animal. Si l’on est chanceux, on y ajoute des baies comme le bleuet et cela devient tout de suite délicieux… Plantée devant un tipi, j’en admire sa construction. Sa structure rappelle cet animal emblématique et essentiel à la survie du peuple Pieds-Noirs. Solide, puissant et souple à la fois, il était, à l’époque, présent dans toute la plaine, du nord au sud de l’Alberta.

Un héritage à transmettre à tous

Rien ne l’émerveille plus que de pouvoir raconter à ceux qui désirent l’entendre les légendes de ses ancêtres. Transmises de bouche à oreille pendant des millénaires, quelques-unes se retrouvent dessinées au pigment sur les peaux de bison destinées à nous abriter. La parole est intarissable.

« Un jour, un jeune homme de la tribu voit dans l’eau des baies appétissantes. Avec sa main, il essaie de les attraper. Malheureusement, à chaque fois que sa main entre dans l’eau, les baies disparaissent. 

Des images d'archives qui honorent la fierté du peuple Pieds-Noirs. Photo Arnaud Barbet.

Des images d'archives qui honorent la fierté du peuple Pieds-Noirs. Photo Arnaud Barbet.

Finalement, exaspéré par une telle complexité, il lève les yeux vers le ciel. Devant lui, sur l’arbuste, les baies le singent avec éclats. Il comprend puis s’empare d’un bâton et tape le tronc pour faire tomber les baies tant convoitées ». Je souris, amusé par cette histoire, qui explique avec poésie l’usage du bâton dans la cueillette depuis maintenant des millénaires.

Je poursuis seul la visite, de salle en salle, l’histoire amérindienne se dévoile. Il me semble que nous avons beaucoup à apprendre sur le respect de la nature qui nous entoure, sur la vie en harmonie et la spiritualité de ses peuples des prairies. Autour de moi, je ressens l’enthousiasme de chacun des guides, ils ont à cœur de véhiculer leur culture à travers la danse et les chants folkloriques notamment.

Une façon personnelle de toujours rester en contact avec ces racines essentielles à tous les peuples. 

Alors, si vous désirez tout connaître des Pieds-Noirs, n’hésitez pas à visiter ce site magnifique. Vous y découvrirez leur mode de vie basé sur le respect de la nature, des saisons, des esprits, de la faune et de la flore des prairies. Vous pourriez goûter au pemmican fait de façon traditionnelle, marcher sur les traces des chasseurs de bison, et participer à de nombreux ateliers ludiques pour les jeunes et les moins jeunes. 

N’hésitez pas à visiter le site web headsmashedin.ca pour en savoir plus sur les évènements à venir, son accessibilité et les horaires !